17 déc. 06, Fontenay Sous Bois.
Ma petite maman,
Salut, c’est Benjachmuk. Davidou et Routili sont a cote de moi.
Tu t’en vas et je veux t’adresser des petits mots de rien du tout. Des petits mots de ton petit dernier. Des petits mots comme tu savais si bien les écouter.
Mes souvenirs, il y en a des milliers, et, si je les ajoutais a ceux des gens qui t’entourent aujourd’hui venus te donner un dernier clin d’œil, il y en aurai des millions.
Tu m’as appris à faire la crème au chocolat. Sur la toile cirée de la table de la salle a manger a Saint Mande, au quatrième étage du 71 rue Jeanne d’Arc, 2 étage au dessus des Ducornets et de chez Fabienne, tu m’as donné les clefs essentielles d’une vie bien réussie.
Tant de souvenirs ! Notre terrain de jeu se rétrécissait a notre chambre lorsque tu organisais ces AG mémorables tenue jusque tard dans la nuit autour de la table de notre salle à manger.
Je me souviens de toi à Decroly. L’odeur des rotatives à alcool me revient aussi, celle que l’on respirait à plein poumons quand tu imprimais les Decroly Flash, dans ce grenier mystérieux du troisième étage de l’école. Avec toute cette bande d’irréductibles, vous aviez l’air de résistants dont les rotatives miniatures représentaient le dernier espoir de combat. L’impression est indélébile.
Je me souviens de ton cabas, toujours plein de bonnes victuailles les jours de Kippour que nous allions passer ensemble avec les anciens d’Orsay, au cas où tes petits bouts de chou auraient une petite fin. Je te voyais discuter avec tes copines, et je n’ai compris que plus tard votre exceptionnelle proximité. Les expériences que vous aviez eu l’audace de partager ensemble étaient fondatrices. L’école d’Orsay était plus qu’une école pour toi, mais, tel un radeau, la seule véritable chance de survie pour la jeune rescapée de la Shoa que tu étais.
En Espagne, nous nous baladions un soir d’été, sur la route qui menait de notre grande maison, vieux monastère reconverti, au pont qui nous reliait à la douce ville de Tremp. On entendait les Niderman rire au loin. Nous longions le mur chaud et la nuit tombait doucement, la température était parfaite. Tu m’as dit : « Ah quel plaisir. Si le temps pouvait s’arrêter a cet instant, ce serait parfait. » Tu t’es arrêtée une minute, sautillant d’un pied a l’autre, les mains derrière le dos, humant les fleurs sauvages. Puis nous sommes repartis finir notre ballade.
Je me souviens de la cour de l’OSE, derrière la rue du faubourg saint Antoine, avec ses pavés humides. La lourde porte de l’immeuble donnait sur un labyrinthe de couloirs, au bout desquels je te trouvais toujours assise à ton bureau, travaillant dur comme fer a ce métier qui te plaisait tant.
Quand tu as commence au CASIP, ca m’a donne l’occasion de découvrir d’autres quartiers de Paris. J’allais te chercher et nous allions fureter dans la librairie, près de la rue Rodier. Manger des couscous a Belleville.
Femme active s’il en était, tu savais prendre le temps de recevoir tes copains à la maison. L’odeur de ton Cholent attirait comme des mouches les Najman, Cecile, et tant d’autres. Ton poulet rissolant faisaient s’attabler les Niderman avec appétit. Papa, heureusement, et pour le plaisir de tous, continue cette tradition avec talent.
Je me souviens de toi pendant ces milliers de jours ou tu t’es occupée de nous trois, toujours présente, toujours à l’écoute de nos émotions. Quand Mémé est morte, j’ai dis « J’ai perdu ma deuxième Maman ». Les 13 ans qu’elle a passé avec nous ont été heureux, grâce a toi et a ton dévouement de tous les instant pour le bien être de ta mère. Tu as sacrifie tout un tas de choses pour t’occuper d’elle pendant toutes ces années.
Maman, tu avais non seulement une vision très claire des objectifs que tu te fixais, mais aussi une ténacité incroyable, et sous des couverts parfois discrets, tu savais toujours t’accrocher et mordre le morceau sans jamais le lâcher. 15 ans durant, tu l’as répété à ton équipe du CASIP. Tu leur disais : « Nous ferons et seront le meilleur service de la communauté. Mais cela veux dire avec vous. Travailler, réfléchir, comprendre, imaginer, risquer, et construire ensemble. Pas seulement pour la gloire et notre ego. Mais pour les gens qui viennent et nous font confiance. »
Travailler, réfléchir, comprendre, imaginer, risquer, et construire, ce sont des principes que tu as appliqué à ta vie, et donc a la notre. Comme tu l’as dis a Simone Weil en parlant de notre famille lors de la remise de ta médaille de l’ordre du mérite, « Nous nous sommes fait tous les cinq ensemble. »
Par exemple, dans l’éducation, tu nous a toujours aidé mais sans jamais nous guider vers un chemin qui n’était pas le notre. Tu as écris, je te cite : « Les gens sont des personnes uniques. Leur choix les fait vivre. Apprendre ce n’est pas assener des connaissances, mais donner des moyens, des pistes pour se faire soi même. »
Cette vision de l’éducation était pour toi accrochée a la notion de transmission.
Tu parlais de « L’obligation de transmettre, de communiquer d’une génération a une autre, de s’entraider. ».
Mais Maman, c’est dur de transmettre sans se dévoiler. Et beaucoup de choses sont resté cachées à nos yeux d’enfants. Je t’ai entendu dire « Nous savons bien que d’avoir eu à se cacher, rend dangereux le fait de se dévoiler ! ». Que c’est vrai ! Ton enfance d’enfant cachée a Neuvy Saint Sépulcre, avec ton frère Lucien et ta cousine Margueritte, grâce au Père Noir, ont laissé des traces indélébiles, invisibles, mais bien présentes encore aujourd’hui.
Tu as écris : « Ce sentiment d’absence, n’est ce pas cette proximité incessante avec ceux que nous avons perdus ». Cela t’as bien sur été transmis par ta propre mère, Mémé Esther, qui disait : « Ceux que nous avons perdus sont dans la poussière de la terre, l’air que nous respirons, ils sont en nous. »
Tout ca explique sans doute ton obsession de tout garder, et ton attachement aux objets et aux photos de famille. Il y en a partout dans la maison. Il y en avait jusque sur les murs des couloirs du CASIP. Les objets, c’est important, tu as raison. Nathalie a un jour écris a propos de ses parents désormais partis: « Moi-même, mes sœur et frère, mes neveux et nièces, mes petits neveux et mes petites nièces, nous sommes leur unique trace. Les affaires personnelles qu’ils ont laisses dans leurs tiroirs, leurs vêtements, leurs bijoux, leurs livres, c’est nous. »
La bague en email vert donnée en cadeau a ta sœur Nathalie pour ses 11 ans, c’est un peu de toi dans cet anneau. Tu pars mais l’anneau reste.
Tu t’en vas mais nous restons.
Il y a deux ans je t’ai offert un petit carnet noir pour y inscrire tes pensées. Tu écris tes souvenirs, ton quotidien, tu notes avec attendrissement ta sortie au cinéma avec Henny et Albert Najman, et tes impression après a voir vu « La prairie aux bouleaux ».
Mais la maladie, combattue avec tant de vigueur, commence à réclamer son du. Tu couche sur le papier ces mots : « Il faut que je commence à écrire ce que j’ai déjà oublié. »
Surtout, sur une des pages, tu notes, inquiète : « Comment se fera le passage ? ».
Tu fais allusion à ce qui te guette, et que même Papa, malgré tous ses efforts et son attention, n’a réussi qu’à repousser.
« Comment se fera le passage ? ». Et bien c’est nous qui le ferons, Maman. Moi et mes enfants Anya et Samuel. David, Ruth et leurs enfants Matteo, Deborah, Léa et Eve. Papa. Tous les gens ici portent un peu de toi en eux. Ils t’ont tous connu à un moment de ta vie, ils t’ont tous accompagné. Tu nous as tant donné, que le Passage, même s’il est triste, est facile. Nous allons continuer à vivre, non pas sans toi, mais bien avec toi.
Dans la tradition juive on parle de Neshama, d’âme. Pour moi, ta neshama, ce sont les petits bouts de toi que je porte en moi, que nous portons en tous nous. Les souvenirs, d’abord, qui restent a jamais et avec qui nous vivons, mais aussi to énergie, ta détermination, ta douceur et ton art de vivre, qui sont en nous, et nous guident dans nos pas vers l’avenir.
Ton Benjamin.
mardi 19 décembre 2006
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2 commentaires:
Je me tenais a quelques metres, evidemmemt.
J'ai vu les mines tristes, graves, bien sur.
Je ne t'ai pas entendu, Benjamin.
Il faisait trop gris, trop froid.
Alors, ton texte, Benjamin, est ma premiere lecture, et ma derniere emotion.
Pour l'instant.
Ils sont doux, tes mots, ils sont beaux. J'y penserai, je te l'assure.
Quand je penserai a Mali. C'est a dire souvent
Enriko
Je n'ai jamais ecrit mon nom ainsi, mais je l'ai entendu souvent ainsi, et par toi, et par vous, et il me plait ainsi.
Vous me reconnaitrez.
Je viens de lire... Chaque annee trouverais je tellement de chaleur, de tristesse et de"געגועים" dans ce si beau temoignage! Tu as raison Mali est en vous, chacun la vehicule...et elle me manque...
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