mercredi 17 février 2010

Mali m'a raconté, et mon père m'a raconté.

Par Genevieve Dahan, Jérusalem le 14 Février 2010.

Mali m'a raconté, et mon père m'a raconté. Je connaissais cette histoire depuis des années et je n'avais jamais rien fait pour avancer. Je m'explique.

Un jour d'été sur la route de Preuilly mon père a rencontré sur le bord de la route deux jeunes qui faisaient du stop. : Il disait" deux enfants une fille et un garçon." Il s'est arrêté, les a montés dans sa voiture et leur a proposés de se reposer dans sa maison avant qu'il ne les accompagne a leur destination.
En arrivant à la maison de Preuilly, Maman a commencé à préparer une soupe pour soulager la fatigue des deux jeunes. C'est à ce moment que le jeune garçon a expliqué qu'ils sont des jeunes juifs et ne peuvent donc pas manger.
Mon père ayant entendu cette déclaration de sa chambre où il était déjà allongé s'est précipité dans la salle à manger en pleurant d'émotion: "Il y a encore des enfants juifs qui mangent cacher?

Mali m'a raconté qu'elle avait eu une correspondance avec ce garçon qui était plus âgé qu'elle et qu'elle était très fière qu'un si grand garçon répondait à ses lettres. Elle m'avait aussi raconté qu'il y avait un lien entre cette correspondance et son choix pour Orsay bien des années plus tard. Elle m'a aussi donné le nom de Peretz et d'une ville du nord d'Israël où il habiterait peut être.

Tout cela faisait parti pour moi d'une légende que je véhiculais …jusqu'à ce congrès de rabbanim à Eilat il y a quinze jours où David m'a fait rencontrer le rav Peretz de Ranana.

Ma femme a quelque chose à vous raconter. Et me voila racontant ma légende…
Il m'arrête tout de suite en me disant qu'il connaît cette histoire: Il était connu dans la famille que son frère Moshe écrivait à une jeune adolescente très belle aux yeux et cheveux noirs!

Quelle émotion que d'entendre cette déclaration.

Le rav Peretz m'explique qu'en 1949 son grand frère et sa grande sœur étaient EI et traversaient la France. Il me donne l'adresse de Moshe à Jérusalem, il me faut encore quelques jours pour dénicher le numéro de téléphone…

Hier 14 février 2010 j'ai eu un rendez vous avec Moshe Peretz. Moshe est un homme de 80ans, grand, mince, altier. C'est un homme orthodoxe, portant une barbe longue mais parfaitement taillée et des cheveux blancs, fournis, un peu bouclés. Il semble sortir d'un livre de contes sur le Mashiah... voici le récit.

En 1949 moi et ma sœur Marcelle étions en France. Comme fils ainé d'une famille habitant à Casablanca, j'avais décidé après le vote des Nations en 1948 qu'il nous fallait rejoindre Israël car maintenant nous avions un pays. L'alya étant clandestine nous ne pouvions "monter" que un par un et sans faire de vagues. J'avais réussi à envoyer mon petit frère à Grenoble dans une maison d'enfants qui devait préparer tout les gosses pour le voyage et l'alya. J'étais EI et préparais mon départ pour la harchara en Israël avec Castor et Chameau. Ma sœur et moi avons décidé de rendre visite à notre petit frère à Grenoble et de là nous nous sommes dirigés vers Paris en stop. J'avais 19 ans, ma sœur 14ans. Nous dormions dans des villages dans la tente que nous montions chaque jour. Nous avons traversé un village où il y avait une foire très animée et joyeuse, et là j'ai vu deux enfants, une fille et un garçon. la fille portait un maguen David en or et je lui ai demandé " qu'est ce que c'est?": (il est vrai que je n'en croyais pas mes yeux). La jeune fille m'a demandé: "pourquoi? Vous êtes juifs?" oui..."Où habitez-vous?" j'ai expliqué que nous campions de ville en ville pour arriver à Paris. La jeune fille Mali a répondu que chez elle, à la maison c'est petit, mais ils peuvent planter la tente dans le jardin. Les deux jeunes scouts ont commencé à monter leur tente sous le tilleul à Preuilly et Mali a couru raconter sa rencontre aux parents qui ont aussitôt fait rentrer les deux Ei à la maison à Preuilly.(Moshe Peretz était très ému et ses yeux se remplissaient de larmes pendant son récit.) Il raconte encore que les enfants, Mali et Lucien se sont tellement attachés à ces visiteurs qu'il leur était impossible de reprendre la route. Il pense qu'il est resté à la maison de Preuilly 4 ou 5 nuits. C'est là que Moshe, qui devait peut être s'appeler Maurice en France, à commencé à raconter... A raconter un monde que Mali absorbait de tous ses yeux: Moshe parle de cheveux très noirs et des yeux noirs… Il a parlé d'Orsay, il a raconté le travail de Castor, il a fait part de son projet : créer un "garin" en Israël dans un kibboutz. Moshe Peretz a été en relation épistolaire avec Mali un certain temps et dit l'avoir rencontrée en Israël en 1956 lors du voyage de Manitou et la promotion. Dans ce voyage il y avait des cours donnés par le rav Kook lui-même et Moshe Peretz servait d'interprète. Il est important de noter que cette rencontre n'a pas été seulement une révélation pour Mali: 13 ans, 1949... Mais aussi pour Moshe Peretz lui même. En effet les EI du Maroc avaient été préparés à rencontrer en France des survivants de la guerre, mais soudain en pleine campagne française, ces rencontres, avec deux enfants juifs puis avec leurs parents à l'accent ashkénaze prononcé et un petit bébé né après la guerre (c'est moi Geneviève) étaient pour lui une vision qu'il n'a jamais oubliée.

Je vous laisse deviner l'atmosphère de la rencontre, l'émotion profonde qui y régnait. Je lui ai raconté les suites que cet événement avait engendrées pour Mali et toute la famille... Cette révélation: des enfants juifs mangeaient encore cacher après la guerre. Le rallumage de la flamme du judaïsme qui vacillait…Moshe pleurait. Il avait manqué Mali de quelques années et moi pourtant j'étais sûre que Mali était quelque part avec nous.

15 février 2010 06:30

4 commentaires:

Benjamin a dit…

Geneviève, ce récit est très émouvant et incroyable, car il inscrit bien ces moments exceptionnels qui ne durent que quelques jours dans une durée qui dépasse même la vie des protagonistes et s’inscrit sur des générations toutes entières. En effet, comme tu le dis, pour Maman, tout part de cette rencontre, cela est très clair pour moi, qui connais également l'histoire de cette rencontre à Preuilly de sa propre bouche. Dans la version que j'ai en mémoire, Maman raconte l'histoire de la manière exacte dont Moshe te l'a décrite, avec des éléments de la version de ton souvenir: Pépé prend sur le bord de la route deux jeunes gens, et les amène jusqu'au centre du village, d'ou ils pensaient aller planter la tente sur les bords du Cher. Maman est intriguée par ces deux jeunes, mais rien de plus. Plus tard vers la fin de l'après-midi, Maman et Lucien (ou Maman seule ?) se rendent à la petite fête qui se donne sur les bords du Cher. La, ils tombent sur le couple de jeunes gens pris en stop quelques heures plus tôt. Le garçon remarque la Magen David de Maman, et celle-ci apprend alors que ce sont deux frères et sœur juifs. Maman court à la maison pour prévenir Pépé, qui dévale alors les rues menant au Cher afin de retrouver ces deux jeunes. "Vous êtes juifs! ça alors, c'est incroyable. Venez chez nous passer la nuit" et de les inviter à passer la nuit à la maison. Ils arrivent à la maison, et commencent à planter leurs tente, mais Mémé dit pas question que vous dormiez dehors. Mémé prépare une soupe et ils disent Hum, on mange cacher… Là, quand Pépé apprends qu'ils mangent cacher il est doublement abasourdi - non seulement deux jeunes juifs en pleine campagne, mais en plus qui mangent cacher ! Cela est strictement incroyable pour lui à cette époque. Surtout pour Maman, qui découvre alors des pratiques et des idées qui lui ouvrent une fenêtre très positive sur le judaïsme et sur son identité. Voici donc la version que j'ai entendue, et qui lie les deux versions (Geneviève et Moshe). Ce qui est tres clair dans tout ca, c'est que quand Maman me racontait cette histoire, elle l'indiquait clairement et sciemment comme le point de départ de tout. Comme si cette rencontre avait été pour elle une révélation, la boussole qui lui montra le chemin à prendre. Je dois beaucoup a cette rencontre, mes frère et sœur et nos enfants respectifs aussi. Donc, Geneviève, transmet s'il te plait à Moshe toute notre émotion et nos remerciements, car sans lui, il est probable que nous ne serions pas ici pour témoigner une fois encore de la force de ce destin plein d'espoir qui est celui de note famille toute entière.

Benjamin, Vienne, 17 Fevrier 2010.

Nathalie Klein a dit…

Merci Geneviève pour ce récit. Il y a tant a voir dans cette rencontre fatidique, située seulement 4 ans après la fin de la guerre. Il s'y passe tant de choses. A première lecture, ce qui me surprend et même me choque le plus c'est justement papa abasourdi et le cri qu'il pousse « Il y a donc encore des enfants juifs qui mangent casher! ». Cette une exclamation sans équivoque.

Quand Moshe et Marcelle Peretz ont rencontré notre famille, celle-ci se composait d'une adolescente survivante de la Shoah qui était avide de vie, d'un pre-adolescent plein d'énergie, de deux parents dont les familles avaient été décimées ( Srul n'était pas encore revenu de Sibérie) et du plus important: un bébé. Parce que figurez-vous, aurait dit papa, qu'il y avait encore des juifs qui faisaient des enfants!

Je pense que c'est dans cet état esprit qui mêlait l'euphorie totale (un bébé!) au souvenir permanent de la Shoah (bébé qui a été nommé du nom des deux grand-mères assassinées), que ce couple de frère et sœur a trouvé notre famille.

C'était une famille qui ne voulait pas se contenter de survivre, mais voulait vivre, s'agrandir et s'épanouir. Je pense que c'est la raison pour laquelle cette rencontre a été déterminante pour Mali et si surprenante pour papa. Elle venait, au moment voulu, donner des réponses, des indications et pour tout dire un cadre, le cadre du judaisme relevé de ses cendres, vibrant et actuel.

golda a dit…

Me voila repondant a ces messages de creation d'un nouvel avenir, d' un futur possible en 1949.
Moshe Peretz est decede cette semaine et je reviens d'une visite de consolation.
C'est face a la veuve, 4 filles et quelques petits enfants que j'ai commence a raconter le conte.
J'ai explique que je venais de votre part, de la part de nous tous pour remercier Moshe d'avoir eveille la flamme d'un judaisme blesse...Et j'ai conte..En relisant maintenant je m'apercois que je n'ai rien oublie, et ils pleuraient d'emotions en imaginant cette adolescente ashkenaz croisant ce jeune homme marocain fier de don judaisme et ne pliant pas sur les regles de cashrout.
C'est en parlant de Manitou qu'une des filles, surprise, a raconte que son mari dirigeait un centre de prepa a l'armee ou l'enseignement du judaisme est d'apres la pensee de Manitou.
Mali dout etre fiere, je l'ai bien representee pour remercier et passer le message.
Decembre 2016

golda a dit…

Me voila repondant a ces messages de creation d'un nouvel avenir, d' un futur possible en 1949.
Moshe Peretz est decede cette semaine et je reviens d'une visite de consolation.
C'est face a la veuve, 4 filles et quelques petits enfants que j'ai commence a raconter le conte.
J'ai explique que je venais de votre part, de la part de nous tous pour remercier Moshe d'avoir eveille la flamme d'un judaisme blesse...Et j'ai conte..En relisant maintenant je m'apercois que je n'ai rien oublie, et ils pleuraient d'emotions en imaginant cette adolescente ashkenaz croisant ce jeune homme marocain fier de don judaisme et ne pliant pas sur les regles de cashrout.
C'est en parlant de Manitou qu'une des filles, surprise, a raconte que son mari dirigeait un centre de prepa a l'armee ou l'enseignement du judaisme est d'apres la pensee de Manitou.
Mali dout etre fiere, je l'ai bien representee pour remercier et passer le message.
Decembre 2016