Par Genevieve Dahan, Jérusalem le 14 Février 2010.
Mali m'a raconté, et mon père m'a raconté. Je connaissais cette histoire depuis des années et je n'avais jamais rien fait pour avancer. Je m'explique.
Un jour d'été sur la route de Preuilly mon père a rencontré sur le bord de la route deux jeunes qui faisaient du stop. : Il disait" deux enfants une fille et un garçon." Il s'est arrêté, les a montés dans sa voiture et leur a proposés de se reposer dans sa maison avant qu'il ne les accompagne a leur destination.
En arrivant à la maison de Preuilly, Maman a commencé à préparer une soupe pour soulager la fatigue des deux jeunes. C'est à ce moment que le jeune garçon a expliqué qu'ils sont des jeunes juifs et ne peuvent donc pas manger.
Mon père ayant entendu cette déclaration de sa chambre où il était déjà allongé s'est précipité dans la salle à manger en pleurant d'émotion: "Il y a encore des enfants juifs qui mangent cacher?
Mali m'a raconté qu'elle avait eu une correspondance avec ce garçon qui était plus âgé qu'elle et qu'elle était très fière qu'un si grand garçon répondait à ses lettres. Elle m'avait aussi raconté qu'il y avait un lien entre cette correspondance et son choix pour Orsay bien des années plus tard. Elle m'a aussi donné le nom de Peretz et d'une ville du nord d'Israël où il habiterait peut être.
Tout cela faisait parti pour moi d'une légende que je véhiculais …jusqu'à ce congrès de rabbanim à Eilat il y a quinze jours où David m'a fait rencontrer le rav Peretz de Ranana.
Ma femme a quelque chose à vous raconter. Et me voila racontant ma légende…
Il m'arrête tout de suite en me disant qu'il connaît cette histoire: Il était connu dans la famille que son frère Moshe écrivait à une jeune adolescente très belle aux yeux et cheveux noirs!
Quelle émotion que d'entendre cette déclaration.
Le rav Peretz m'explique qu'en 1949 son grand frère et sa grande sœur étaient EI et traversaient la France. Il me donne l'adresse de Moshe à Jérusalem, il me faut encore quelques jours pour dénicher le numéro de téléphone…
Hier 14 février 2010 j'ai eu un rendez vous avec Moshe Peretz. Moshe est un homme de 80ans, grand, mince, altier. C'est un homme orthodoxe, portant une barbe longue mais parfaitement taillée et des cheveux blancs, fournis, un peu bouclés. Il semble sortir d'un livre de contes sur le Mashiah... voici le récit.
En 1949 moi et ma sœur Marcelle étions en France. Comme fils ainé d'une famille habitant à Casablanca, j'avais décidé après le vote des Nations en 1948 qu'il nous fallait rejoindre Israël car maintenant nous avions un pays. L'alya étant clandestine nous ne pouvions "monter" que un par un et sans faire de vagues. J'avais réussi à envoyer mon petit frère à Grenoble dans une maison d'enfants qui devait préparer tout les gosses pour le voyage et l'alya. J'étais EI et préparais mon départ pour la harchara en Israël avec Castor et Chameau. Ma sœur et moi avons décidé de rendre visite à notre petit frère à Grenoble et de là nous nous sommes dirigés vers Paris en stop. J'avais 19 ans, ma sœur 14ans. Nous dormions dans des villages dans la tente que nous montions chaque jour. Nous avons traversé un village où il y avait une foire très animée et joyeuse, et là j'ai vu deux enfants, une fille et un garçon. la fille portait un maguen David en or et je lui ai demandé " qu'est ce que c'est?": (il est vrai que je n'en croyais pas mes yeux). La jeune fille m'a demandé: "pourquoi? Vous êtes juifs?" oui..."Où habitez-vous?" j'ai expliqué que nous campions de ville en ville pour arriver à Paris. La jeune fille Mali a répondu que chez elle, à la maison c'est petit, mais ils peuvent planter la tente dans le jardin. Les deux jeunes scouts ont commencé à monter leur tente sous le tilleul à Preuilly et Mali a couru raconter sa rencontre aux parents qui ont aussitôt fait rentrer les deux Ei à la maison à Preuilly.(Moshe Peretz était très ému et ses yeux se remplissaient de larmes pendant son récit.) Il raconte encore que les enfants, Mali et Lucien se sont tellement attachés à ces visiteurs qu'il leur était impossible de reprendre la route. Il pense qu'il est resté à la maison de Preuilly 4 ou 5 nuits. C'est là que Moshe, qui devait peut être s'appeler Maurice en France, à commencé à raconter... A raconter un monde que Mali absorbait de tous ses yeux: Moshe parle de cheveux très noirs et des yeux noirs… Il a parlé d'Orsay, il a raconté le travail de Castor, il a fait part de son projet : créer un "garin" en Israël dans un kibboutz. Moshe Peretz a été en relation épistolaire avec Mali un certain temps et dit l'avoir rencontrée en Israël en 1956 lors du voyage de Manitou et la promotion. Dans ce voyage il y avait des cours donnés par le rav Kook lui-même et Moshe Peretz servait d'interprète. Il est important de noter que cette rencontre n'a pas été seulement une révélation pour Mali: 13 ans, 1949... Mais aussi pour Moshe Peretz lui même. En effet les EI du Maroc avaient été préparés à rencontrer en France des survivants de la guerre, mais soudain en pleine campagne française, ces rencontres, avec deux enfants juifs puis avec leurs parents à l'accent ashkénaze prononcé et un petit bébé né après la guerre (c'est moi Geneviève) étaient pour lui une vision qu'il n'a jamais oubliée.
Je vous laisse deviner l'atmosphère de la rencontre, l'émotion profonde qui y régnait. Je lui ai raconté les suites que cet événement avait engendrées pour Mali et toute la famille... Cette révélation: des enfants juifs mangeaient encore cacher après la guerre. Le rallumage de la flamme du judaïsme qui vacillait…Moshe pleurait. Il avait manqué Mali de quelques années et moi pourtant j'étais sûre que Mali était quelque part avec nous.
15 février 2010 06:30